Festivals : panne sèche ?
On n'y croit plus. Où aller cet été en festival ? Dans quelle ville, dans quel patelin, quand on aime le jazz, a-t-on envie d'aller passer une semaine à écouter, jour et nuit, de la musique ? Franchement, on ne voit pas. Un concert ici, un autre là-bas, mais toute une semaine, non, on ne s'y voit pas car on ne reconnaît pas la vitalité du jazz dans les affiches hétéroclites de l'été. Un constat s'impose : le jazz tel qu'il se vit à Fat Cat, à Barbès (Brooklyn), à La Fontaine (Paris 10e), au Sunside, à la Jazz Gallery (NYC)... Ce jazz de création - oui ! - n'a droit de cité nulle part en France. 250 festivals et des affiches qui se ressemblent toutes. Pas de place pour les jeunes musiciens ("jeune", c'est relatif : à 35 ans, certains créateurs du jazz étaient morts et enterrés ; heureusement que leur espérance de vie s'allonge). Petit tour d'horizon : ni Laurent Coq, ni David El-Malek, ni Christophe Dal Sasso, ni Sophie Alour, ni Thomas Savy, ni tant d'autres musiciens connus et reconnus n'ont de concerts cet été. Frilosité des programmateurs pour les musiciens français ou, plus sûrement, ignorance de leur part ? Car qui programme les musiciens new-yorkais qui comptent aujourd'hui ? Où jouent des Jason Moran, Ben Allison, Marcus Strickland, Miguel Zenon, Bill Stewart, Jeremy Pelt, Jason Lindner, Seamus Blake, Maria Schneider, Tony Malaby, Ari Hoenig, Kurt Rosenwinkel, Ralph Alessi et tant d'autres (et encore on ne cite pas les plus obscurs) ? Nulle part dans l'Hexagone à de (très) rares exceptions près. Quel festival d'été se présente aujourd'hui dans notre beau pays comme un lieu de rencontres, d'échange, de création, de patrimoine, en matière de jazz ? Où les artistes en devenir croisent-ils les derniers géants ? On m'objectera qu'il existe des Banlieues bleues ou des Sons d'hiver. Il est vrai (et c'est tant mieux) mais non seulement ces festivals n'ont pas lieu pendant l'été mais encore ils s'inscrivent dans une esthétique très orientée post-free/musique improvisée qui n'est que l'un des courants du jazz actuel, avec une dimension esthético-politique très affirmée (ils ont le mérite de l'engagement).
Ailleurs, entre les affiches mirifiques alignant les stars payées à prix d'or (le Châtelet) et les grandes programmations fourre-tout (populistes sur els bords) gangrénées par la salsa, la funk, le blues, la musique brésilienne et les pseudo mélanges électro-jazz (Vienne, Fort Médoc, Parc floral...), on n'est guère motivé à prendre un ticket pour les festivals. Pitoyable paysage où la musique est réduite à un attrape-touriste maximisé, sans autre ambition que de nourrir les tiroirs-caisse des marchands de bière locaux et de remplir les chambres d'hôte. Il était un temps où les patrons de festivals avaient d'autres ambitions que de drainer le plus de monde possible : il voulait aussi partager des coups de coeur, faire connaître des artistes dans lesquels ils croyaient, réaliser des rêves de gosse... défendre une certaine idée de la musique et du jazz en particulier. On n'en voit plus beaucoup, la course au gigantisme et aux garanties sur investissement semblant avoir tué l'imagination. Bizarrement, les supporteurs des musiques improvisées ont toujours semblés plus déterminés à défendre des programmations intègres, quitte à s'arroger le mot de jazz et le monopole de la créativité. Les économies ne sont pas les mêmes, sans doute, mais peut-être aussi ont-ils la musique plus chevillée au corps dans un réseau où l'underground apparaît comme un gage de qualité. Dommage qu'il n'y ait personne qui sache défendre, avec la même opiniâtreté, une programmation de jazz attractive et imaginative.